Paloma Varga Weisz
Glory Hole

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Le Consortium
Curated by Eric Troncy
Paloma Varga Weisz, "Glory Hole", exhibition view, 2020. Photo: Rebecca Fanuele © Consortium Museum
Paloma Varga Weisz, "Glory Hole", exhibition view, 2020. Photo: Rebecca Fanuele © Consortium Museum
Paloma Varga Weisz, "Glory Hole", exhibition view, 2020. Photo: Rebecca Fanuele © Consortium Museum
Paloma Varga Weisz, "Glory Hole", exhibition view, 2020. Photo: Rebecca Fanuele © Consortium Museum
Paloma Varga Weisz, "Glory Hole", exhibition view, 2020. Photo: Rebecca Fanuele © Consortium Museum
Paloma Varga Weisz, "Glory Hole", exhibition view, 2020. Photo: Rebecca Fanuele © Consortium Museum
Paloma Varga Weisz, "Glory Hole", exhibition view, 2020. Photo: Rebecca Fanuele © Consortium Museum

Paloma Varga Weisz (1966, Mannheim)


Remerciements : Sadie Coles HQ, Londres; Gladstone Gallery, New York, Bruxelles; Bonnefanten Museum, Maastricht.


 

« Glory Hole » — à ce jour la plus volumineuse sculpture de Paloma Varga Weisz, fut montrée pour la première fois au Kunstverein de Salzburg en 2015. Elle est composée d’une cabane en bois que l’artiste a trouvée dans la campagne autrichienne, de deux sculptures anthropomorphes en bois articulées et animées, d’un ensemble de têtes d’animaux taxidermisés et de deux babouins taxidermisés (1). L’ensemble est présenté dans une salle plongée dans l’obscurité, qu’éclairent seulement les rais de lumière qui traversent les interstices entre les planches mal ajustées de la cabane, dont l’intérieur, séparé en deux salles, n’est pas accessible physiquement. Les scènes organisées à l’intérieur sont accessibles au regard uniquement, essentiellement depuis des orifices créés par l’absence des nœuds du bois dans ces planches. Parce qu’elle a donné le titre de « Glory Hole » à cette installation, il semble suggéré que le fait d’utiliser ces orifices pour satisfaire la curiosité du regard puisse trouver, ici-même, un équivalent aux actes sexuels dont les glory holes sont l’instrument. L’anonymat des protagonistes engagés dans ces actes sexuels à la faveur de glory holes suggère en outre que le spectateur est un inconnu à l’œuvre qu’il regarde et en tous cas, ce titre induit inévitablement une « sexualisation » de l’acte même de regarder (ici, une œuvre d’art), qui s’entend comme un théâtral spin-off de la scopophilie théorisée par Sigmund Freud (le plaisir de posséder l’autre par le regard) ou du « regard scopique » de Lacan, et des liens qui unissent l’œil et l’érotisme chez Bataille dans Histoire de L’œil (1928).

Née en 1966 à Mannheim en Allemagne, Paloma Varga Weisz étudia avant toute autre chose, durant trois années (1987-1990) l’ébénisterie et les techniques traditionnelles du travail du bois dans une petite école de Bavière, avant d’entrer, pour huit années à la Kunstakademie de Düsseldorf en 1990 — c’est-à-dire à une époque où l’art d’avant-garde se faisait fort d’établir de solides barrières avec l’artisanat. A la Kunstakademie, où il lui fut suggéré d’oublier tout ce qu’elle savait faire, elle étudia dans l’atelier de Gerhard Merz (2), un artiste prônant un art « qui ne fasse pas de fausses promesses au spectateur » avec un credo simple : « Proportion, colour, light, these are the naked weapons of art. There is nothing more to it. Art as a necessary form of application, grammar within a defined horizon). » (3) « I think he was like an antipode to me. And I was like growing up on his side, in being against him. He was like a father, where you have to grow up in being the opposite of what he is saying. And I think this was a chance for me that I took this position as a chance to develop something in my mind. » dit Paloma Varga Weisz. (4)

« Glory Hole », probablement, ne fait pas « de fausses promesses au spectateur » mais ouvre à qui sait s’aventurer à son appréciation, des récits possibles — et matière à réflexion. Installés dans cette sorte de Wunderkammer — ces cabinets de curiosités qui conspuent le banal et ne tolèrent que le singulier — ses deux personnages semblent à la fois être le sujet d’une scène et en être absolument déconnectés ou, peut-être, les affronter avec une exorbitante sérénité. Pour autant qu’ils soient engagés dans des actions significatives, et bien qu’animés, ils n’expriment aucune émotion particulière à ainsi écarter les jambes puis les refermer (le personnage féminin) où à agiter son nez ressemblant à un pénis (le personnage masculin). L’intense dramatisation du décor (l’obscurité, la cabane de planches, les têtes d’animaux taxidermisé au mur, les singes au sol,…) s’oppose ainsi à l’impassibilité des personnages entre hyper présence et hyper absence : dans cette tension, cet espace irrésolu, l’œuvre de Varga Weisz prend corps. Dans ce théâtre, elle embarque sans doute des éléments biographiques : les deux personnages réveillent le souvenir des mannequins de bois et figurines articulées auxquelles il est possible de faire prendre diverses postures utilisées pour apprendre à dessiner la forme humaine. Devenues ici marionnettes (animées mécaniquement), elles rappellent Pinnochio (un sentiment exacerbé par la taille du nez du personnage masculin, hypertrophié et à l’allure de pénis), cette petite créature dont le père, Gepetto, est menuisier, et qui aime cette marionnette comme le fils qu’il n’a pas eu. Paloma n’a pour sa part jamais fait mystère de l’influence qu’eut sur elle la carrière et la vie de son père, Feri Varga, un juif hongrois né en 1906 qui vint à Paris en 1924 pour étudier l’art, et figura sur la « liste noire » des Nazis : il s’enfuit dans le sud de la France, devint l’ami de Jean Cocteau et de Pablo Picasso (là est l’origine du prénom de Paloma), Jacques Prévert, et Matisse. “A lot of artists have private stuff in their work and, because of that, I perhaps have my doubts as to what really is private. Makers and their stories are just ingredients. The work is an independent thing, and the connection to the viewer is another independent thing, because you always bring your own story into the viewing of a work. “ (5)

— Éric Troncy

 

  1. Les travaux d’inventaire du patrimoine naturel ont permis de définir si des espèces étaient menacées ou non. Des organisations de conservation de la nature comme l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature ont été́ créées ainsi que des accords, dont ceux de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), visant à règlementer le commerce des espèces protégées. Les données étant régulièrement mises à jour, des espèces, considérées autrefois comme non menacées, sont aujourd’hui interdites de prélèvement. Ainsi, des spécimens présents dans les collections des musées et capturés avant leur inscription sur ces listes sont soumis aujourd’hui à une forte règlementation. Les collections de sciences naturelles sont alors les garants de la conservation et de la transmission de ce patrimoine.
    L’exposition de l’œuvre « Glory Holy » de Paloma Varga Weisz permet ainsi de présenter aux visiteurs des espèces protégées au titre de la CITES ou par arrêté́ qui sont difficilement observables d’une autre manière.
    Les animaux présentés (à l’exception des trophées de chasse autorisée) sont morts de causes naturelles et ont été́ préparés par des professionnels certifiés selon les lois en vigueurs.
    Le cas échéant, les animaux bénéficient d’un certificat UE en vertu de la législation CITES. Les autorisations requises pour leur transport et leur exposition ont été́ obtenues.
  2. Gerhard Merz a eu une exposition personnelle au Consortium Museum en 1987, « Inferno », 15 décembre 1987- 30 janvier 1988)
  3. Gerhard Merz, cité par Herbert Molderings, exhibition catalogue Kunsthaus Bregenz 2007.
  4. Dialogue talk
  5. Anna McNay, “Just a small Piece of Wood and a Knife: A Conversation with Paloma Varga Weisz”, Sculpture Magazine, November 16, 2020