Chen Fei
Grand Lobby
Né en 1983 à Hongtong, Chine. Vit et travaille à Pekin, Chine.
Soutenu par la M Art Foundation dans le cadre de son appui au programme Asia Pacific Society for Consortium Museum.
Avec le soutien de Perrotin.
Né en 1983, Hong Tong, Shanxi Province, Chine, l’artiste a étudié l’académie du film de Pékin dont il sort diplômé en 2005.
Pour sa première exposition institutionnelle à l’étranger, il présente, selon le souhait des curateurs, un ensemble de natures mortes et de très grandes toiles, dont la composition all over affiche des assemblages de volailles ou de bouddhas !
La peinture est descriptive, précise, avec quelques accents empâtés parfois ou de fonds traités à la feuille d’or ou de laque rouge.
Le narratif est à la fois direct, sans détour, mais il déploie à l’attention plus patiente un tissu d’allusions sous la forme de personnages, de situations cocasses ou incongrues.
Titrée Grand Lobby, l’exposition rassemble pour une première présentation institutionnelle en Europe, quelques 17 peintures dont deux tableaux peints pour l’occasion.
Le titre est doucement ironique comme si une telle exposition se scénographiait sur le mode de l’accueil des lobbies d’hôtel, de banques ou de bâtiments publics chinois – d’abord –. Du faste un peu compassé, qui tourne vite au kitsch clinquant avant d’être récupéré depuis quelques décennies par l’esthétique commerciale des terminaux d’aéroports et de rejoindre cette cohorte duplicable à l’infini, mêlant modernisme cosmétique et street culture policée.
Le lobby comme mélange postmoderne du majlis arabe, de l’atrium romain et de tous ces espaces préliminaires, est ici élargi en "Grand" pour lui conférer faste et surface.
"C’est comme entrer dans le hall d’un hôtel ou d’une maison d’hôtes gérée par l’État, où l’on est immédiatement accueilli par un tableau qui semble de bon augure, rayonne d’énergie positive et remplit une fonction fonctionnelle. C’est ce genre d’inspiration et de réflexion qui a motivé mon approche."
Volontairement cadrées sur les natures mortes, agrémentées de personnages du règne animal – des coqs (Modern Times, 2021-2022) – ou de figures religieuses – des bouddhas de dévotion (Incense Fire, 2021) – voire du genre humain (Natural History, 2016 ; Untitled, 2018) – la sélection des peintures témoigne de la volonté évidente pour l’artiste de s’inscrire dans la litanie magnifique de l’art de genre balayant histoire classique et moderne.
Dans le choix qui est fait ici, les compositions sont frontales, tout particulièrement les natures mortes de fruits et légumes distribués le long d’une table/plateau interrompu dans sa largeur par les bords de la toile.
Une nature morte comme un détail d’une immense fresque classique dont nous ne saurions rien de plus.
De la scène religieuse iconique du dernier souper (la Sainte Cène dans la geste catholique), Chen Fei n’a gardé que les seuls ingrédients culinaires.
Il serait laborieux mais nécessaire d’énoncer tous les fruits et légumes de For Breadth and Immensity, 2018-2019, comme un inventaire composé, architecturé en formes et couleurs d’objets comestibles sur une nappe aux mêmes plis verticaux des Ultima Cena de Leonardo, à Andrea del Castagno, voire de Pieter Coeck d'Alost. La composition déployée en largeur s’interrompt aux bords de la toile de proportions cinémascopique. Pour Forgive, 2020, le traitement plus monochrome dans des tons de verts clairs et foncés, de jaune et de blanc cassé adjoints de camaïeux de violet des végétaux qui accumulés en un triangle aplati dessinent une manière de paysage verdoyant.
Gardons en mémoire, de Pieter Aertsen, Scène de marché, 1569, Hallwyl Museum, Stockholm, qui dans son registre inférieur affiche la même accumulation de fruits et légumes.
Quand un artiste se plaît à défier les canons de la nature morte telle que les néerlandais et flamands du XVIe et XVIIe siècles l’ont définis, il ne va pas sans investir également dans les sujets floraux, eux aussi balisés, codifiés avec encore plus de symbolique et de manières éclatantes.
Dans le répertoire des tableaux de fleurs, les grandes familles de peintures se répartissent principalement en guirlandes, corbeilles et paniers de fleurs, vases de fleurs et disposent sur la toile, selon des symboliques très cadrées, les fleurs choisies pour leur éclat, leurs couleurs, leurs formes. Un véritable langage des fleurs se constitue alors.
Chen Fei s’est limité aux registres du vase de fleurs (Friendship, 2022), explorant la presque trivialité de quelques fleurs deux blanches, une rose et deux encore en boutons en équilibre précaire dans une bouteille de verre transparent – de ces nouveaux flacons cylindriques au goulot en pas de vis d’eaux minérales exclusives servies dans les restaurants créés par les lauréats des télé réalités culinaires.
Allez voir Daniel Seghers, Flowers in a glass vase, 1635, Toledo Museum of Art et tant d’autres dispersés dans tous les grands musées du monde car issues de collectionneurs privés amateurs de ces tableaux décoratifs et historiques à la fois.
Si l’on entend l’artiste évoquer d’autres sources, d’autres référents, qu’il cite comme autant de manières d’aborder la peinture :
"Je pense que cette série de tableaux trouve son origine dans mes débuts dans la peinture. Par exemple, je sens qu’il y a de nombreux sujets que je veux peindre, mais ils sont fondamentalement liés à l’environnement dans lequel je vis. Je trouve que l’utilisation d’une approche picturale directe et littérale manque souvent de sens et peut aussi sembler restrictive.
Si j’ai mentionné mon désir d'explorer des thèmes comme la géopolitique, les classes sociales, l’histoire ou divers aspects des réalités contemporaines, peindre directement ces thèmes pourrait facilement ressembler à quelque chose qui s’apparente à des caricatures satiriques. Au lieu de cela, j’utilise la nature morte comme un récipient ou un contenant pour intégrer ces thèmes."
Mais aussi, tenant compte de son inscription dans un pays éminemment politique, Chen Fei nous donne les autres pistes qui éclairent son travail :
"À Shanghai, par exemple, il y avait un artiste célèbre nommé Li Mubai qui peignait des modèles de boîtes à cigarettes et des calendriers de filles. Son style et ses formes ont été pour moi une source d'inspiration. Après 1949, les artistes comme lui se sont limités à créer des œuvres centrées sur des thèmes spécifiques et fonctionnels. Leur travail a évolué vers une "peinture fonctionnelle", répondant aux besoins historiques et politiques de l'époque.
Il s'agissait notamment de thèmes liés aux valeurs positives et édifiantes du socialisme ou d'œuvres destinées à la propagande éducative. Il existait également diverses peintures promotionnelles conçues pour soutenir différentes formes de propagande. Ce changement reflétait l'évolution du rôle de l'art dans la société à cette époque, où la créativité était orientée vers des objectifs sociaux et idéologiques. »
— Franck Gautherot & Seungduk Kim