Karen Kilimnik
Karen Kilimnik

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Le Consortium
Curated by Eric Troncy
Karen Kilimnik, Le Consortium, 16 rue Quentin, 2007.
Karen Kilimnik, Le Consortium, 16 rue Quentin, 2007.
Karen Kilimnik, Le Consortium, 16 rue Quentin, 2007.
Karen Kilimnik, Le Consortium, 16 rue Quentin, 2007.
Karen Kilimnik, Le Consortium, 16 rue Quentin, 2007.
Karen Kilimnik, Le Consortium, 16 rue Quentin, 2007.

 

Karen Kilimnik est loin d’être une débutante. C’est patiemment qu’elle a imposé une œuvre naturellement inspirée par le Pop Art (quand celui-ci était loin d’être le mouvement qui faisait autorité), qu’elle a perfusé de tous les acquis formels de l’art du XXe siècle, et emporté bien loin de ses sources – si loin qu’il fallut toutes ces années pour qu’on salue en elle, enfin, un infatigable inventeur, et un indiscutable précurseur.

Née à Philadelphie en 1955, elle n’a commencé à exposer qu’à la fin des années 80, conservant d’ailleurs un job qui consistait essentiellement à s’occuper d’animaux de compagnie, vouant un amour infini à son chat (appelé Tabitha en hommage à la fille de Ma sorcière bien aimée), et frappée d’une dévotion sincère pour les séries télévisées, les magazines de mode et les histoires relatives aux têtes couronnées – ses portraits de Lady Diana ou du Prince William devaient, plus tard, en témoigner. Si son iconographie privilégiée rejoint celle du Pop Art, c’est avant tout par goût personnel : Karen est ainsi, et c’est avec naturel que se rencontrent dans ses premières œuvres les pompiers du film Backdraft et Madonna, dont les clips la fascinent (à cette époque, la Ciccone est encore entourée de croix et de fumée). La gravité et la pérennité de l’Histoire rencontrent dans son œuvre la frivolité et la fugacité du présent par l’entremise des medias people. Les légendes, les contes, les croyances, tout ce qui est auréolé d’une forme narrative historique de mystère (de Stonehenge à la magie noire…) voisine avec une forme plus urbaine de récit contemporain : la vie des stars (avec une prédilection pour Kate Moss, dont on comprend rétrospectivement comment elle peut endosser le rôle de petit chaperon rouge contemporain) et leur mise en scène médiatique.

Mais plus que le choix de cette iconographie, c’est sa mise en forme qui fit de Karen Kilimnik, au début des années 90, une héroïne provisoire de la scène artistique New-Yorkaise, tandis qu’elle renouvela le genre inattendu du « Scatter », une manière héritée de la fin des années 60 d’installer des éléments sur le sol, comme s’ils avaient été déversés sans ménagement ni intention formelle particulière. Dans un contexte artistique dominé par le triomphe du marché qui ne fut pas long à rebondir après le crack de 1989) où les œuvres étaient d’ordinaire sagement et précautionneusement présentées comme des biens de consommation de luxe, Karen a imposé un foutoir monumental, jonchant le sol de bricoles en toc, recouvrant les murs de peinture mal étalée et de tout un attirail parfois assez kitch. À l’esthétique très clean de Jeff Koons et des Neo-Geo, elle opposait un style west coast inspiré de McCarthy ou Pettibon, et racontait inlassablement via une production de dessins l’histoire de Jane, son double en quelques sortes, une jeune fille fascinée par la haute couture, les défilés de Karl Lagerfeld, et à qui il arrivait parfois des choses catastrophiques (« Jane chips a Fingernail », 1991). Ses expositions, dès lors, prennent souvent la forme d’installations très scénarisées composant un univers brossé de manière à la fois sophistiquée et rapide, loin du soin technique apporté au décor de théâtre, avec une prédilection pour le non finito dont, d’ailleurs, on retrouve aujourd’hui encore des signes manifestes. Karen Kilimnik a progressivement fait de la peinture à l’huile sa technique de prédilection, délaissant les grands formats très en vogue pour se concentrer sur des toiles de petit format où la préciosité des sujets rencontre naturellement la dimension domestique à laquelle les contraignent les médias people qui restent sa principale source d’inspiration.

À la grande démonstration trash des débuts, Karen a substitué une forme plus discrète de décor pour laisser la place à ses petits tableaux dont on ne peut que constater combien ils sont servis pas une technique picturale désormais très assurée. Les sujets de ses toiles n’ont pas changé mais leur facture s’est enrichie d’un réel savoir-faire, loin, toujours, des conformismes picturaux. Inlassablement, Karen Kilimnik poursuit son voyage imaginaire (elle-même se déplace peu) au pays des têtes couronné, des héros de la presse people, dans un pays où les châteaux de la Loire et les vieux manoirs anglais servent de décor à la grande saga du temps présent.

Eric Troncy