Eduardo Paolozzi
L'Almanach 16 : Eduardo Paolozzi
À l’instar de Dr Jekyll et M. Hyde, Paolozzi semble être un cas de dualité ; il est à la fois l’artiste qui participa à la naissance d’un mouvement esthétique totalement nouveau (dont il finit par se détacher) et celui qui s’inscrivit finalement dans un art officiel, démarche se soldant en 1986 par l’obtention du titre de « Sculpteur ordinaire de sa majesté pour l’Écosse » qu’il conserva jusqu’à sa mort. La distance formelle entre certaines de ses réalisations en témoigne et notamment entre les œuvres qui précèdent le milieu des années 1970 et celles qui suivirent.
C’est ici le Paolozzi précurseur du Pop Art qui est présenté, celui même qui fut à l’origine de l’Independent Group – cénacle au sein duquel naquit le terme « pop » – avec Reyner Banham, Richard Hamilton, Lawrence Alloway et d’autres, à partir de 1952. Se définissant comme un surréaliste, joueur d’images et explorateur de l’inconscient, Paolozzi collectionnait de manière compulsive toute sorte d’images imprimées. Il entreprend, à partir de 1965, d’exploiter cette collection au service d’un projet d’envergure : créer un statement définitif de l’homme moderne et son dilemme sous forme d’un livre de 500 pages. Le projet prit la forme de la série General Dynamic F.U.N. en deux volumes (1965- 1970).
Le second volume, présent dans l’exposition, est révélateur de l’obsession de l’artiste pour le processus mécanique et la créativité qui en émane. Cette deuxième édition, à la différence de la première qui respectait le procédé classique de l’édition d’art imprimée, s’affranchit de la technique traditionnelle d’impression pour une approche expérimentale du processus en superposant sérigraphie et photolithographie. Paolozzi s’appropriait suffisamment les méthodes de la production sérielle afin de pouvoir échapper à leur principe. Il modifiait par exemple les teintes des encres au cours d’un même tirage soit une manière de réinjecter le caractère d’unicité à un système pensé pour l’identique. Cet intérêt pour les méthodes de production l’a ainsi mené à explorer une variété de médiums et techniques ; sculpture, peinture, céramique, sérigraphie, photo/lithographie.
Outre ce véritable attachement aux évolutions techniques et technologiques qui lui ont permis de donner forme à ses
réalisations, l’objet-machine et ce qui en résulte est bien évidemment omniprésent dans son travail et largement représenté. Même lorsque les sculptures prennent des apparences de figures humaines comme Parrot (1964) qui, semblant cependant appartenir à un autre genre – renvoyant plutôt à la tradition de l’art brut –, elles n’échappent pas au caractère mécanique.
L’ensemble des œuvres présentées est à l’image d’un monde construit, élaboré, normé, cartographié où l’intervention des machines est une étape incontournable. Et ce parti-pris renvoie presque inévitablement à la vie urbaine et à l’image de la ville, rendues visibles par l’emprunt aux codes plastiques de la publicité (Zero Energy Experimental Pile, Universal Electronic Vacuum, General Dynamic F.U.N) ou ceux de l’architecture et de l’urbanisme (Collage City).
La série Calcium Light Night qui se présente pourtant comme une interprétation visuelle de l’œuvre et de la vie du compositeur américain Charles Ives ressemble sous certains aspects à une cartographie ou encore à ce que Kevin Lynch définit comme l’image mentale (impliquant aussi la perception sensorielle) que l’usager a d’une ville avec ses voies, quartiers, nœuds, points de repères et limites.
L’ensemble des pièces réunies est graphiquement très riche. L’esthétique des éditions est résolument contemporaine et l’on pourrait penser, à s’y méprendre qu’il s’agit de travaux récents réalisés par des graphistes parisiens cinquantenaires très en vogue.
— Xavier Douroux
Né en 1924 à Leith en Écosse, Eduardo Paolozzi est mort en 2005 à Londres.