"Le choix des femmes"
Aimee Morgana,
Ann Veronica Janssens,
Annette Messager,
Astrid Klein,
Cindy Sherman,
Françoise Vergier,
Gretchen Faust,
Hannah Villiger,
Hanne Darboven,
Ilona Ruegg,
Isa Genzken,
Jessica Stockholder,
Judith Barry,
Julia Scher,
Julia Wachtel,
Kate Blacker,
Laurie Parsons,
Marthe Wéry,
Marylène Négro,
Rosemarie Trockel
S’adjoignant le renfort de deux acolytes de sexe masculin (Bernard Marcadé, René Denizot), les trois directeurs masculins du Consortium (Eric Colliard, Franck Gautherot, Xavier Douroux) invitèrent chacun cinq artistes de sexe féminin.
Choisies par Eric Colliard
Hanne Darboven, Gretchen Faust, Aimee Morgana, Julie Wachtel.
Choisies par René Denizot
Kate Blacker, Isa Genzken, Ann Veronica Janssens, Marthe Very.
Choisies par Xavier Douroux
Laurie Parsons, Ilona Ruegg, Jessica Stockholder, Hannah Villiger.
Choisies par Franck Gautherot
Judith Barry, Astrid Klein, Marylène Négro, Julia Scher.
Choisies par Bernard Marcadé
Annette Messager, Cindy Sherman, Françoise Vergier, Rosemarie Trockel.
Eric Colliard
Faire le bon choix (en politique, voter en conformité avec le désir de la majorité au pouvoir) n’est pas forcément bien choisir.
N’exagérons pas. Il s’agit d’une exposition, et d’art contemporain qui plus est. Alors ne demandons pas à l’art plus qu’il ne peut donner : des œuvres.
Y aurait-il autant d’étrangeté, voire d’exotisme à exposer uniquement des artistes femmes que des australiens sableurs ?
Le sexe (la différence de) n’est pas le thème ou l’objet de l’exposition, c’est la condition préalable d’un choix.
Le choix des femmes est une exposition subjective, qui met en avant la relation entre le sujet et l’œuvre et la nature de la perception que l’on en a.
Le choix des femmes déclenche a priori des réactions parfois violentes. On doit donc nécessairement s’expliquer sur le principe de l’exposition. Pour moi c’est le terme de choix qui est à définir. Qui choisit ? Comment et pourquoi ? Un choix, pour une exposition de groupe, n’est-il pas toujours déterminé par des raisons extérieures à l’œuvre d’art ? Le choix des femmes n’est-il pas la représentation radicalisée, donc exagérée, caricaturée, de l’organisateur(trice) d’exposition ?
Et la femme dans tout ça ?
Et l’art dans tout ceci ?
René Denizot, B.A. – B.A.
1. Le choix des femmes dit l’évidence d’un choix. A ce titre s’expose le choix d’une exposition. Choix des femmes et non exposition de femmes. Il n’est d’exposition, quel qu’en soit l’auteur ou le fauteur, que de ce qui se risque, à être, à faire à tout le moins, œuvre d’apparition ou de disparition. Exposition : position hors de soi, au seuil critique d’une position « ex », soumise à l’empire de l’Art, à l’image de la Femme, mais aussi démise des fonctions de représentation qu’impose l’idéologie. Le choix ne s’adresse pas à l’Art dont les jeux sont faits, mais à travers les artistes nécessaires à un travail d’exposition, à des êtres vivants : des hommes et des femmes d’aujourd’hui.
2. Genèse d’une exposition : cinq hommes invitent chacun quatre femmes. Ils n’exposent pas des femmes. Ils les invitent, en temps et lieux donnés, à exposer un travail de leur choix. Au choix des femmes répond le choix d’œuvres exposées. La valeur de ce choix, sa pertinence, son à-propos, engagent les hommes non moins que les femmes, ceux qui se risquent, organisateurs, artistes, spectateurs, à la rencontre d’œuvres dont ils ne peuvent juger, contre tout préjugé — sexiste, raciste, historiciste… —, qu’au présent.
3. Ici et maintenant : s’il est sans préjugé, le choix n’est pas sans conditions. Nous ne choisissons pas l’Art. Tout est Art. Nous sommes faits. Nous sommes tous devenus des « hommes de l’Art ». Le choix des femmes répond d’un désir dont l’attraction élémentaire distingue et rassemble sous des lois planétaires, auxquelles l’Art lui-même est soumis, le nécessaire partage des vivants et des morts entre mort et vif. Former des couples, reproduire l’espèce : effets de l’Art, répétition biologique de l’idéologie. Le désir qui appelle un choix est plus terre à terre. Il tente ici et maintenant, entre hommes et femmes, de donner corps à l’inattendu : ni homme ni femme, ni ange ni démon, ni chair ni poisson, mais non moins étrangement l’effraction d’une œuvre.
Xavier Douroux
Beaucoup s’accordent à relever la montée en puissance des femmes au cœur du dispositif marchand de l’art contemporain (galeries du premier et du second marché, courtiers et commissaires-priseurs…).
Bien peu souhaitent insister sur l’évidente présence féminine parmi les artistes les plus féconds de ces dernières années ou à l’inverse, sur le peu de place que les commissaires d’exposition et autres « curators » laissent aux femmes organisatrices. Retenir prioritairement des critères artistiques doit-il nous conduire à occulter cette dimension revendiquée un temps (pas si lointain) comme enjeu majeur du combat pour l’affirmation de l’identité féminine ?
En l’occurrence, constater c’est déjà aller au-delà du constat et comment traduire la force de cette situation autrement qu’en termes de choix (au moment où d’autres, et Thierry de Duve, s’emploient pour leur part à réhabiliter le jugement en matière d’art)
Franck Gautherot
Que nos goûts se reflètent dans nos choix. Mais que nos choix se situent aussi en écart à notre panthéon habituel, par une liberté que le contexte permet (le permet-il ?).
Qu’il faille dire que nos désirs d’exposition s’accordent de nos envies de paradoxes.
Qu’il y ait une mixité contrôlée.
Et qu’il existe au moins un spectateur, ne sachant rien, qui ne voie que des œuvres d’aspects et de propos différents, quand tous les autres sauront d’emblée ces faits de femmes en exposition.
Du désir de l’exposition à l’exposition d’un désir, il y a l’habituel intervalle de nos incertitudes, quand finalement, nous ne sommes que des praticiens empiriques, sachant parfois user de flair (et le flair paie).
Un peu chefs du protocole aussi, mais de ceux qui n’ont de l’étiquette que le souci de sa lisibilité.
Les opérations reposaient essentiellement sur l’aptitude qu’avaient ces femmes de percevoir, hors du temps et de l’espace, le rapport réel des choses entre elles, et sur le pouvoir qu’elles avaient de réconforter spécifiquement et de raffermir l’assise essentielle de l’âme chez autrui, la doutant ainsi d’une vertu capable à son tour de régénérer, non seulement, le corps, mais la vie tout entière de l’intéressé.
À Delphine Seyrig
Bernard Marcadé, Dix arguments pour une exposition
1. Il est aujourd’hui une manière d’angélisme généralisé qui fait, qu’après les méfaits exercés par une dialectique exclusivement alimentée aux systèmes d’opposition, il est de bonne guerre de placer la pensée dans une perspective, sinon neutre, du moins comme hors tension.
2. Soit, les vieux couples de la pensée occidentale : l’intelligible et le sensible, le modèle et la copie, la forme et la matière… Soit encore : l’entendement et la sensibilité, le concept et l’image, l’art et la technique… Ou encore, plus près de nous : Culture et Nature, Symbolique et Imaginaire… Même si elles ne sont pas directement issues ou produites par le champ strictement esthétique, ces oppositions métaphysiques participent, à des degrés divers, du langage de l’art et de l’esthétique.
3. Au cœur de leurs déploiements et de leurs épanchements respectifs, au sein de leurs ébats et de leurs combats réciproques, toutes ces oppositions laissent entrevoir une dimension délibérément conflictuelle qui, le plus souvent s’ignore comme telle.
4. – Ferdinand (J.-P. Belmondo) : « Avec toi, on peut pas avoir de conversation. T’as jamais d’idées, toujours des sentiments.
– Marianne (Anna Karina) : Mais c’est pas vrai. Y’a des idées dans les sentiments ».
J.-L. Godard, Pierrot le Fou.
5. L’esthétique, comme l’érotique, est fille de l’éristique. Les catégories esthétiques proprement dites (matières/forme, Techné/Physis, peinture/dessin…) sont, plus que toutes autres, marquées au sceau de la différence sexuelle.
6. La pensée, en tant qu’elle est traditionnellement liée à la clarté et à la distinction des énoncés, est impuissante à rendre compte des flux et des écoulements, des pertes et des suintements, des épanchements et des évanescences, des évaporations et des transparences.
7. « – Et par où donc, ventre-saint-gris ! s’écria Monogul, parleront-elles donc ?
– Par la partie la plus franche qui soit en elles. » D. Diderot, Les Bijoux indiscrets.
8. « Dans masculin, il y a masque et cul. Et dans féminin, il n’y a rien ». J.-L. Godard.
9. « – Tu sais, on parle toujours de la violence du fleuve qui déborde sur les rivages, mais on ne parle jamais de la violence des rivages qui enserrent le fleuve.
– Qu’est-ce que ça fait ?
– Eh bien, ça me fait admettre la violence. » J.-L. Godard, Numéro 2.
10. Homme et femme. Être et devenir. Être humain et devenir femme.
« Une femme a à devenir — femme, mais dans un devenir — femme de l’homme tout entier. » G. Deleuze.
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