Sean Landers
Sean Landers
Sean Landers (1962, Palmer, Massachusetts, USA)
L’exposition de Sean Landers au Consortium Museum – la première en France depuis vingt ans – propose un regard rétrospectif sur son œuvre picturale : une quarantaine de tableaux provenant essentiellement de collections privées, réalisées entre 1993 et aujourd’hui, permettent de revisiter les différentes séries qui ponctuent le parcours artistique de cet artiste né en 1962 dans le Massachusetts, installé à New York depuis le milieu des années 1980.
S’il est aujourd’hui l’un des grands peintres contemporains, c’est la sculpture que Sean Landers étudia dans les années 1980, au Philadelphia College of Art puis à Yale University School of Art, où Vito Acconci fut son professeur. Il explique aujourd’hui avoir appris la peinture de sa mère et de sa grand-mère, toutes deux peintres. Il sortit diplômé de Yale et partit à l’automne 1986 s’installer à New York, dans un building de l’East Village, avec Richard Phillips et quelques autres – John Currin avait son atelier de l’autre côté de la rue, et Lisa Yuskavage n’était pas loin. Dans l’East Village où commençaient de s’épanouir les néo-conceptuels Peter Halley et Jeff Koons, se trouvaient aussi d’autres conceptuels ayant, ceux-ci, choisi la peinture figurative. Depuis Yale, Landers réalisait de grandes sculptures en bois représentant des batailles d’animaux inspirées par la peinture classique : « Faire de la peinture figurative quand j’étais en école d’art, c’était le « mauvais » choix à faire à l’époque, quand on nous enseignait l’art minimal et conceptuel. On pensait que c’était absurde, risible, et donc évidemment, comment pouvais-je bien y résister ? » dit-il. Les notes qu’il prenait à même les murs de son atelier, les transformant en une sorte de journal plus ou moins intime, prirent le dessus sur toute autre forme d’expression et quelque chose se produisit lorsqu’il les transféra sur un bloc-notes.
« La première fois que j’ai écrit sur un bloc-notes format légal, et que je l’ai scotché au mur en tant qu’œuvre, il y a eu une réaction immédiate. John Currin est passé, j’ai bien vu qu’il avait un flash : ce n’était pas de l’écriture et certainement pas de la peinture. C’est un truc bizarre et « entre deux », qui essaie peut-être de créer son propre espace. »
C’est une centaine de pages manuscrites sur du papier bloc-notes qu’il exposa en 1990 à la galerie Postmasters de New York, extraits d’un journal racontant autant ses peines de cœur que la lutte d’un jeune artiste de l’East Village pour survivre, utilisant un personnage portant son nom (« Il est moi à 90% »), parfois un alter ego. L’œuvre picturale de Landers est toute entière contenue dans ce journal ; elle est entre biographie et fiction, elle expose son auteur de la manière qu’il décide, n’hésitant pas à se mettre en scène… En somme, elle évoque l’exposition de soi qui, une trentaine d’années plus tard, est devenue le mode d’expression induit par les réseaux sociaux, un mode d’expression finalement proche de la téléréalité. Landers évoque, d’ailleurs, l’influence de la série télévisée An American Family, réalisée en 1973 : considéré comme la première manifestation de la téléréalité, ce programme suivait au plus près la famille Loud, de Santa Barbara.
Le journal et les notes furent transférés sur toile : l’artiste s’y expose exactement comme on s’expose aujourd’hui sur Instagram, veillant parfois au meilleur angle, d’autres à celui qui suscitera l’apitoiement, d’autres fois encore s’écartant de la réalité pour donner l’illusion d’autre chose. Ainsi Fart (1993), toile de trois mètres de long, est-elle constellée d’une centaines de petites notes parmi lesquelles : « Goodwoman je t’aime », « Je suis allé à une fête du monde de l’art hier soir et je n’ai pas supporté » « Helena vient de m’appeler de l’aéroport, je l’aime », « Au moins, je ne me sens plus rejeté », « Ça suffit tes histoires, à mon tour maintenant », « Je dois des excuses à l’Allemagne », « Je m’aime tellement », « Macaulay Culkin est mon acteur préféré », « Je ne suis pas le minable que vous croyez », « J’ai besoin d’un psy mais je ne vais pas y aller, pour que mon art soit encore plus dingue » … Sloth, (2001), raconte une autre histoire : « Je vis à moins d’un kilomètre et demi du World Trade Center. Le 11 septembre j’étais dans mon salon, avec Penelope, ma fille de deux ans, sur les genoux, quand j’ai entendu le vrombissement d’un avion de ligne volant à basse altitude. (...) Je suis entré dans une période d’inactivité prolongée. Pendant quasiment trois mois entiers, je venais ici dans mon atelier et je restais simplement assis sur ma chaise pendant huit heures. Le truc le plus productif que je faisais, c’était de me masturber en regardant du porno sur internet. » Le texte, quel qu’il soit, devient alors un motif de composition, parfois réduit à sa simple signature – longtemps avant Josh Smith. Et aux textes se sont progressivement ajoutées les images, personnages alter ego ou créatures curieuses, parties d’anatomie parfois, comme dans The Ether of Memory (1994), constellée de seins. « C’était juste tellement tabou, en ces temps politiquement corrects où tout le monde se doit de réagir instantanément, que je n’ai pas pu résister» avoue Landers, qui explique aussi que toute tentative d’associer politique et esthétique dans une œuvre d’art est a priori hors sujet.
Le texte est souvent présent dans les œuvres de Landers : aux notes se sont ajoutés des panneaux de direction surnuméraires et indiquant plutôt des anecdotes que des directions, des bibliothèques de livres exposant leurs titres fantaisie, des forêts de bouleaux aux troncs couverts d’écritures entaillées dans le bois… Il est aisé d’évoquer aujourd’hui toutes sortes d’influences, mais il est remarquable d’avoir au début des années 1990 regardé plutôt du coté de Magritte, Picasso et Picabia. « Le XXe siècle en art, c’est principalement un argument entre ce qui est possible via Picasso et ce qui est possible via Duchamp. Presque tout le monde veut faire partie du camp Duchamp, parce que qui donc va retrousser ses manches, montrer ses biceps et déclarer, « je suis peintre » ? J’ai fait toute une série axée sur Picasso et qui a culminé avec une sorte de lettre, "Picasso, je voudrais être semblable à toi." » Les animaux au pelage remplacé par des tissus de tartan qu’il peignit plus récemment explorent, eux, la tradition surréaliste dont il ne s’est pas détourné et font l’éclatante démonstration d’une fantaisie connaissant peu de limites.
Enfin, l’exposition au Consortium Museum présente dans son intégralité la plus récente série de Sean Landers, qui met en scène Plankboy, personnage fait de l’assemblage sommaire de planches de bois rivetées entre elles, apparu dans son œuvre en 2000 sur une toile également présentée dans l’exposition. Comme un personnage de série télévisée qui se serait absenté durant quelques saisons, on le retrouve aujourd’hui occupé à des activités simples qui renvoient aux mythes grecs d’Icare, de Narcisse ou de Sisyphe, … et l’on perçoit immédiatement combien cette charmante marionnette est probablement une métaphore de l’artiste en général, et de Sean Landers en particulier. « Il représente une version plus pure, plus sincère de moi. En ces temps troublés, c’est bien qu’il soit de retour. Il incarne l’innocence, un peu comme un truc fabriqué par un enfant. J’ai essayé de donner à sa charpente un aspect innocent, un peu à la façon dont j’aurais construit un kart quand j’avais huit ans. (...) Quand je l’ai conçu, je pensais surtout à quelqu’un qui ne parvient pas à se conformer au moule. C’est un morceau de bois usiné, au milieu d’une forêt de bois naturel. Un peu comme un américain qui retournerait sur la terre de ses ancêtres, dans le vieux pays. »
—Eric Troncy