Oscar Tuazon
Studio
Oscar Tuazon (1975, Tacoma, Etat de Washington, USA)
Finalement, ce sera Los Angeles. Enfin pour un temps, car Oscar Tuazon habita précédemment à New York, où il fit ses études, puis s’installa plusieurs années à Paris – sa femme, Dorothée Perret, éditeur de Paris-LA, est française – et, l’année passée, donc, opta pour Los Angeles. « Où habiter ? » n’est pas le problème pour cet artiste dont l’œuvre entière dialogue sans cesse avec l’architecture sur des modes peu académiques, mais plutôt « Comment habiter ? » : lui-même naquit dans le dôme géodésique que ses parents aveint construit – une de ces constructions semi-sphériques en treillis que popularisa l’architecte Buckmingster Fuller dans les années 50. Un épisode qui apparaît rétrospectivement comme un sérieux point de départ – ou contribue à donner à l’histoire de Tuazon la dimension héroïque qu’on aime attendre d’un artiste, a fortiori quand il transperce volontiers les murs avec des poutres de bois. La légende se rassure donc également des histoires de prolifération dans l’ex-appartement familial parisien : prolifération d’une construction sculpturale qui finit par traverser plusieurs pièces, chambre y compris.
Tuazon ressemble physiquement à une sorte de paisible petit frère de Larry Clark. Cheveux longs, casquette et Hoodie, il a grandi dans une petite ville à deux heures de route de Seattle. « When I was 17 years old, confiait-il à The Independant, I saw Nirvana for the first time; from then on it was all about denim and flannel. On weekends I’d root around a strange old second-hand store in a nearby navy town, picking out bowling shirts or these farm labourers’ shirts you could get with other people’s names sewn on them. It meant I could be someone else for a little while. » Devenir « someone else » semble avoir été une préoccupation majeure bien après son adolescence, quand il poursuivit ses études à New York, à Cooper Union for the Advancement of Science and Art, jusqu’avant l’an 2000. « It was my first time away from home and I was trying hard to transform myself into something else; for a while I went through this phase of wearing designer clothes and dying my hair grey. First I had to bleach it out completely, then add this weird blue-ish tint to it; I think I may have been trying to draw attention to myself in the wrong way. » Il est effectivement devenu someone else, mais plus que ses choix vestimentaires, c’est son art qui l’a distingué. Un art qui embrasse des moments apparemment antinomiques de l’histoire récente des formes et les conjugue avec une indiscutable grâce. Les hashtags qui s’attachent aux textes concernant son œuvre sont éloquents à ce sujet : « Do it yourself », « hippie », « minimalisme », et « arte povera ». Pourquoi pas, et pas faux, en effet, si l’on accorde à ces termes les significations simplifiées et génériques qu’ils ont acquis parfois de manière vraiment naïve. Ses grandes constructions en bois (la partie la plus saillante et également la plus évidente de son œuvre) sont d’ambitieuses sculptures construites qui imposent leur logique à celle de l’espace qui les accueille sans vraiment sembler s’en soucier. Elles dictent l’évidence de leur tracé, la nécessité de leur forme, les impératifs de leur déploiement et contrarient les usages, infirment les fonctions. Un mur existant placé au mauvais endroit sera ainsi percé pour qu’une poutre le traverse, dans un rapport pas franchement hostile mais en tous cas peu prêt aux concessions. Les espaces d’expositions semblent unilatéralement humiliés par ces occupations irrespectueuses, vaincus, K.O. L’expérience est saisissante, plutôt unique. Aucun bavardage inutile ne vient étayer cette voluptueuse mise à mal, sinon ce qui pourrait ressembler à un impératif sculptural. Il y a en vérité chez Tuazon un peu plus de Mark di Suvero et d’Antony Caro que de Sol Lewitt, et on ajouterait bien à la litanie des hashtags celui de « expressionnisme abstrait ».
C’est cependant chez un héro de l’histoire de la performance qu’il semble avoir ajusté les paramètres de son art. Étudiant, au début des années 2000 ; du célèbre et envié Whitney Independant Study Program du Whitney museum of American art, Tuazon y rencontra en effet Vito Acconci qui, s’il s’illustra dans les années 60 par des performances qui marquèrent effectivement l’histoire de l’art, se consacre depuis une vingtaine d’années à l’architecture, et fonda Acconci Studio, un « studio de réflexion théorique sur le design et la construction ». Souvent simplifiée et magnifiée elle aussi, l’histoire avoue rarement qu’il y fut engagé pour déménager des caisses, mais su se rendre utile au point que son départ ne fut pas envisagé, et qu’il fit vite naturellement partie de l’équipe d’une dizaine d’architectes qui peuplait le studio. « The best part of my job is getting to work with a lot of amazing people. I’m actually not much of a builder myself – I’ve worked on a couple remodeling jobs, but always as the low guy on the totem pole. I know my way around a hammer, I know how to weld, but not too well. After years of working with concrete I still have a very crude understanding of it at best. But it’s what I like to do. And I’ve been very lucky to be able to learn on the job, working with people who know a lot more than I do. » avoue-t-il aujourd’hui encore, bien qu’il ne délègue pas la construction de ses œuvres, et avoue un intérêt entier pour « les gens qui construisent eux mêmes leur maison » – comme le firent ses parents. De fait, cette dimension home made en contradiction apparente avec la monumentalité de ses œuvres le distingua aussi à l’issue d’une époque où il était bon, pour un artiste, d’avoir à sa disposition une dizaine d’ingénieurs et deux fois autant d’assistants. « My interest in building things is in the process of building things, its in the physical process of constructing something rather than in design. »
En 2010 à la galerie Maccarone de New York, c’est précisément avec Vito Acconci qu’Oscar Tuazon choisit de dialoguer, dans une exposition qu’il intitula d’ailleurs « My Flesh to Your Bare Bones: A Duet With Vito Acconci ». Il y donna son interprétation de la proposition faite en 2004 par Acconci pour la construction d’une station de recherche en Antarctique. « Come into the dark, we can’t see anything and we have never been to Antarctica » écrivait alors Acconci dont les intentions architecturales s’exprimaient plus exactement sous une forme poétique. C’est peu dire que la forme poétique domine aussi l’exposition qu’il présenta en ce début d’année à la décidément très inspirée galerie Eva Presenhuber de Zurich. D’habitation il fut encore question dans cette exposition très loin de l’architecture conventionnelle et de ses plans et maquette, mais qu’il intitula A Home et décrivit ainsi : « A Home is my studio, a living space, a workspace, an exhibition space. Based on a house I own on the Hoh River, a remote area on the Olympic Peninsula of Washington State, about 4 hours from Seattle, A Home is essentially a 1:1 architectural study model. When we bought the property almost two years ago there was no road, no power, no toilet, no running water—only a large workshop in the middle of the forest. Since then Dorothee and I have built a road, installed power, and built a rainwater catchment tank and a filtration system to provide drinkable water. The structure is still unfinished, though, with only a single internal wall dividing the space into two large rooms. For the past couple of summers I have used the structure as a studio. ». Autant de choses dont la trace dans l’exposition reste plus qu’évanescente, mais dont la fonction est peut-être simplement de donner à l’esprit une direction pour regarder ce qui est montré. Résolument expérimentale (comme le furent toujours les avant gardes) la pratique de Tuazon est aussi farouchement intuitive ; elle ne semble obéir à aucun dogme, ne se soucie finalement que peu de ses proximités historiques, se méfie de la répétition. Respecter les règles ne fait pas partie du programme, essayer d’en inventer d’autre étant l’option plus familièrement choisie. À Paris où il séjourna, Tuazon n’oublia pas de principe, et participa à la fondation de Castillo/Corales, un « non-profit contemporary art venue » qui comprend aujourd’hui une librairie, un espace d’exposition et une maison d’édition plutôt exigeante. Ce qui ne l’empêcha pas, plus tard, de confier son œuvre aux meilleures galeries du globe. Avec, quand même, comme il le confiait récemment à Amelia Stein, cette curieuse conviction : « The artworks, at least from my perspective, really are almost like trash (…) But you know, at the same time, I think it’s great to think about them from someone else’s perspective. That they might enjoy them or lose them or preserve them, I find that an awesome and humbling thing that anybody would find something I do valuable enough to live with. That is totally cool. But from my own perspective, I really don’t want to have anything to do with it [laughs]. I don’t want it around anymore. I want to get it out of the way so I can move on to the next thing. »
—Éric Troncy, Numéro, avril 2014